Conrad, le voyageur de l'inquietude by Olivier Weber

Conrad, le voyageur de l'inquietude by Olivier Weber

Auteur:Olivier Weber [Weber, Olivier]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782081277823
Éditeur: Arthaud
Publié: 2016-05-28T04:00:00+00:00


7

Au long cours

L

E VOICI CAPITAINE . Enfin ! Il ne souffrira plus, du moins le croit-il, des vexations de tel officier pervers ou de tel supérieur courroucé. C’est lui désormais qui fera vivre un navire, en sera l’âme, le père, le gardien, l’arbitre. Ce destin de seul maître à bord après Dieu l’effraie un peu. La mer demeure désespérément vide au-delà de la ligne d’horizon, pense-t-il. Le spectacle des vagues au loin ressemble à celui de ses propres abîmes que seuls deux choses peuvent compenser, le déplacement et l’écriture.

Pour la première fois, il commande un navire, l’Otago, ancré à Bangkok. Il y embarque en janvier 1888, avec les appréciations du maître du port de Singapour, Henry Ellis, qui souligne ses compétences et ses prestations excellentes. La tâche, pour la belle somme de quatorze livres par mois, ne lui fait pas peur. Il est sobre, consulte avec détachement son second, Charles Born, sur le navire depuis deux ans et qui rêvait du poste, écrit le soir dans sa cabine, discret et réservé. Il s’est endetté pour payer lui-même des pièces de voilure et du cordage. Seul le passé du navire le hante : il hérite du commandement d’un capitaine, Snadden, qui vient de décéder en mer, deux semaines avant que le trois-mâts n’accoste à Bangkok. Qu’importe le souvenir de mort qui flotte sur le pont ! Le voilier, même s’il ne s’avère pas en très bon état, est magnifique, fin, élancé, avec une étrave qui rebondit de vague en vague, porté par l’immense voilure de ce gigantesque épouvantail marin.

Il sent aussi la polyphonie de ses voix intérieures. Il est à la fois aventurier, officier britannique, exilé, Polonais de cœur, écrivain dans l’âme. Lorsqu’il écoute ses matelots, c’est avec fermeté et aussi une certaine empathie. Nul doute que ce penchant l’aidera dans la richesse de ses choix narratifs, avec un narrateur tel Marlow dans lequel se mélangent personnage inventé et auteur.

Peu à peu, Conrad prend conscience qu’il est seul aux commandes, seul face à lui-même et en même temps entouré d’un équipage qui s’apparente à une seconde famille, malgré les rivalités qui peuvent en surgir, malgré les tensions dues au calme plat – trois semaines pour rallier Bangkok à Singapour, autant dire l’allure d’un escargot –, malgré la malaria qui guette les hommes de bord. Lui qui n’a eu ni frère ni sœur, jeune orphelin, en rupture de ban par carence d’amour, rencontre à bord une fratrie. À lire La Ligne d’ombre, la traversée de l’Otago est aussi une superbe leçon sur la destinée, que l’homme peut maîtriser à force d’opiniâtreté.

Le commandement de l’Otago le marquera à jamais. Même si le voilier, qui jauge trois cent soixante-sept tonneaux, n’est pas de la taille des plus grands, il peut rivaliser avec ses pairs, et suscite l’admiration par son allure, jusqu’à cent cinquante-cinq milles par jour lors du voyage entre Liverpool et Port Chalmers, en Nouvelle-Zélande ! « Le navire à voile quand je le connus à l’époque de sa perfection, écrit Conrad dans Le Miroir de la mer, était un être doué de sens.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.